-
Published at
Wednesday 29 July 2020
Ce n’est plus un secret pour personne: les données sont devenues en très peu de temps une nouvelle richesse convoitée par tous. Chaque jour, leur quantité augmente à une vitesse fulgurante et leur analyse influence désormais les stratégies économiques et sociales de quasi toutes les sociétés.
Or si l’importance des données ne fait plus de doute, leur gouvernance et leur gestion demeurent à développer. Et c’est exactement ce pourquoi les chercheurs Philippe Després et Pierre-Luc Déziel viennent de recevoir un financement de près de 130 000 $ de l’OBVIA, l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique.
Leur projet, mené sur deux ans par une équipe scientifique pluridisciplinaire, utilisera PULSAR comme banc d’essai pour créer et mettre en œuvre un tout nouveau modèle de gouvernance des données. À l’instar de la philosophie ouverte et collaborative de PULSAR, le projet impliquera autant les chercheurs que les citoyens et les décideurs.
Mais concrètement, qu’est-ce que la gouvernance des données? Pourquoi PULSAR? Et quels sont les défis d’un tel projet? Philippe Després, l’un des deux chercheurs principaux du projet et conseiller en architecture de données pour PULSAR, répond à nos questions.
-----
PULSAR > Le financement que l’OBVIA vient de vous accorder démontre bien l’importance de votre sujet de recherche. Mais concrètement, qu’est-ce que la gouvernance des données, et à quoi ça sert?
Philippe Després > Ce n’est pas facile de répondre simplement à cette question parce qu’il y a plusieurs composantes dans la gouvernance des données. Qu’on pense aux mécanismes d’accès aux données, aux personnes qui doivent prendre les décisions, à la qualité et à la fiabilité des données, etc. Mais concrètement, mettre en place un modèle de gouvernance, c’est choisir quels comités jugeront de « qui » a accès aux données et sous quels critères. Il y aura, par exemple, un comité technique qui opérationnalisera le tout et dira si « telle personne » a le droit d’accéder à « telle variable ». Il y aura aussi le comité éthique, qui permettra de trancher sur ce que les personnes qui ont accès aux données auront le droit de faire avec celles-ci. Et tout cela vaut pour l’ensemble du cycle de vie de la donnée, de sa collecte à son analyse.
PULSAR > Existe-t-il plusieurs modèles de gouvernance des données et si oui, comment savoir lequel choisir?
Philippe Després > Il existe des dizaines de modèles de gouvernance! Nommons par exemple la fiducie, un modèle calqué sur le concept de fiducie en fiscalité. Ce modèle permettrait à un groupe de personnes de décider, au nom d’un individu, ce qui est acceptable ou non de faire avec ses données. Choisir un modèle demande une bonne réflexion; il faut voir ce qui est le mieux adapté à notre situation, à notre cadre légal et aux « mission-vision-valeurs » de notre organisation. Il faut aussi inclure les parties prenantes. Pour notre projet, les parties prenantes seront celles de PULSAR soit les citoyens, les décideurs et les chercheurs. Tous auront leur mot à dire dans la gouvernance que nous développerons pour PULSAR.
PULSAR > À l’heure actuelle, ce ne sont pas toutes les organisations qui ont adopté un modèle de gouvernance de leurs données. Pourquoi?
Philippe Després > Jusqu’à aujourd’hui, plusieurs organisations ne se rendaient pas encore compte de la valeur des données qu’elles possédaient. On gérait un peu à la semaine et on ne se donnait pas de mécanismes formels. Les grandes entreprises qui vivent des données, comme Google et Facebook, ont des modèles de gouvernance bien structurés parce que cela fait partie de leur nature-même et génère des profits. Mais dans d’autres organisations, comme les centres hospitaliers dont la mission première est de donner des soins, la culture de gestion et de valorisation de la donnée n’est pas encore développée. Certains mécanismes peuvent être en place mais ils ne sont pas nécessairement formalisés. Aujourd’hui, ces organisations réalisent de plus en plus que la donnée est une richesse dont il faut baliser davantage l’accès et l’usage.
PULSAR > Pourquoi est-ce que la gouvernance des données est un enjeu important pour le milieu de la recherche?
Philippe Després > Si un chercheur décide de gouverner ses données avec son instinct et ses intuitions, ce n’est pas la meilleure façon de faire et ça ne correspond pas à l’excellence que l’on attend du milieu de la recherche. Pour qu’il n’y ait pas de zones grises et que les choses soient le plus clair possible, il est important d’avoir une structure, des mécanismes et une saine gestion des données. C’est une composante de l’excellence en recherche, et d’avoir ces cadres-là permettra de mieux anticiper le futur.
PULSAR > Quelles sont les particularités de PULSAR qui en font une initiative intéressante comme banc d’essai pour votre projet?
Philippe Després > D’abord, dans PULSAR, toutes les parties prenantes sont impliquées. Contrairement à une entreprise privée dans laquelle le citoyen a une implication limitée (ex. : accepter ou non les conditions d’utilisation), PULSAR implique ses trois principales parties prenantes (citoyens, chercheurs, décideurs) dans sa gouvernance, et ce, à toutes les étapes de son développement. C’est une grande force qu’on ne retrouve pas ça nécessairement ailleurs et qui nous permettra d’utiliser PULSAR comme banc d’essai pour notre projet.
PULSAR a aussi l’avantage d’avoir un embryon de modèle de gouvernance, avec les différents comités qu’il a mis en place. Mais heureusement, son modèle est resté évolutif et les choses n’ont pas été figées dans le béton dès le départ. On pourra donc profiter de cette agilité pour créer un modèle de gouvernance « sur mesure » et qui conviendra à toutes les parties prenantes.
PULSAR > Quels sont les principaux défis et facteurs de réussite d’un tel projet?
Philippe Després > Le principal défi sera l’acceptation du modèle par toutes les parties prenantes. Autour de la table, on aura des décideurs, des chercheurs et des citoyens de divers milieux, et tous n’auront pas les mêmes motivations, craintes et appréhensions. Ce sera un exercice de compromis et de compréhension. Quand tout le monde aura réfléchi, tenu compte des points de vue de chacun et se sera prononcé pour finalement en arriver à une solution commune, on pourra dire qu’on aura réussi car le modèle de gouvernance reflètera la pluralité des parties prenantes.
PULSAR > On le sait, recruter des participants pour des projets de recherche n’est pas une mince tâche. Comment comptez-vous vous y prendre?
Philippe Després > En effet, le recrutement n’est pas toujours chose facile et en plus, pour notre projet, on veut s’assurer d’une grande représentativité de la population dans les travaux. Mais en ayant comme partenaire Nord Ouvert, un organisme à but non lucratif basé à Montréal et qui possède une grande expertise en modèles de gouvernance des données, on aura accès à plusieurs contacts et canaux de communication avec divers organismes. On pourra aussi bénéficier du réseau et de la plateforme de PULSAR, sur laquelle on envisage faire une partie de notre recrutement.
PULSAR > Quels bénéfices tangibles votre projet apportera-t-il pour le citoyen?
Philippe Després > Prenons l’exemple d’un citoyen qui partagerait ses données dans le cadre d’un projet réalisé avec PULSAR, projet qui serait donc encadré par le modèle de gouvernance de données que nous aurons développé. Admettons que ce projet étudie les différents indicateurs de qualité de vie en lien avec l’aménagement bâti et la couverture végétale. Après analyse des données, notamment celles fournies par les citoyens, l’équipe en arrive à confirmer que l’ajout d’arbres dans les quartiers sont d’excellents indicateurs du bien-être de la population. En partageant ensuite ces résultats aux décideurs municipaux (une des parties prenantes de PULSAR), on peut réellement orienter les décisions de la ville pour ses plantations d’arbres et ses investissements futurs. C’est l’un des nombreux exemples concrets de bénéfices pour la population. Parce que rappelons-le, PULSAR est là pour prendre les données et les transformer en actions ou en politiques actionnables. Cela démontre à quel point en ayant accès à des données bien gérées et structurées, les citoyens, les chercheurs et les décideurs peuvent vraiment transformer des données en actions.
Titre du projet : Design et implémentation d’un nouveau modèle de gouvernance des données à l’ère de la santé numérique; PULSAR comme banc d’essai pour l’innovation responsable
Pour plus d’information, consultez la nouvelle sur le site de l’OBVIA.